La phrase du titre est de Sri Aurobindo
Par SATPREM
Plus le chercheur progressera vers le haut, plus son accès aux zones d’en bas s’élargira – le Passé qu’il touche est exactement proportionnel à l’Avenir qu’il découvre – et plus son pouvoir de transformation collective grandira aussi.
Jusqu’à présent, le pouvoir tiré en bas était un pouvoir mental, ou surmental au mieux, qui ne touchait que des demi-profondeurs, mais maintenant qu’un pouvoir supramental ou spirituel est descendu dans la conscience terrestre à travers la réalisation de Sri Aurobindo et de la Mère, on peut penser que ce Futur suprême va toucher le Fond suprême et précipiter le nettoyage, c’est-à-dire, en fin de compte, l’évolution de l’humanité tout entière.
Le yoga est un processus d’évolution concentrée, et la progression est géométrique : Le premier mouvement de la Force évolutive dans la Matière s’étend obscurément sur des âges; le mouvement de la Vie progresse lentement, mais déjà à un rythme plus rapide, il se concentre en millénaires; le Mental peut comprimer encore davantage la lenteur nonchalante du temps et faire de grandes enjambées en quelques siècles; mais quand l’Esprit conscient intervient, une rapidité évolutive suprêmement concentrée devient possible.
Nous en sommes Là.
Les soubresauts du monde actuel sont sans doute le signe que la Pression descendante s’accélère et que nous approchons d’une vraie solution.
Il se peut qu’une fois commencée l’entreprise (supramentale) n’avance pas rapidement, il se peut qu’elle prenne de longs siècles d’effort avant d’arriver à naître avec quelque permanence.
Mais ce n’est pas tout à fait inévitable; les changements de ce genre dans la Nature semblent avoir pour principe une longue et obscure préparation, suivie d’un rassemblement rapide et d’une précipitation des éléments dans une nouvelle naissance – une conversion brusque, une transformation qui fait figure de miracle par sa lumineuse instantanéité.
Une fois le premier changement décisif effectué, il est certain aussi que l’humanité tout entière ne sera pas capable de s’élever à ce niveau. Il ne peut manquer de se produire une division entre ceux qui sont capables de vivre dans la lumière qui descend au niveau mental. Et en dessous aussi, il se pourrait qu’il reste une grande masse influencée d’en haut mais pas encore prête pour la lumière.
Mais ce serait déjà une transformation, un commencement qui dépasserait de beaucoup tout ce que l’on a réalisé jusqu’à présent. Cette hiérarchie n’entraînerait pas, comme dans notre existence vitale actuelle, une domination égoïste du moins développé par le plus développé; les aînés de la race, au contraire, guideraient leurs frères plus jeunes et travailleraient sans cesse à les élever à des niveaux spirituels plus hauts et vers des horizons plus vastes.
Et pour les guides aussi, l’ascension aux premiers niveaux spirituels ne serait pas la fin de la marche divine, ce ne serait pas un sommet qui ne laisse plus rien à accomplir sur la terre. Il y a d’autres niveaux au sein du monde supramental, encore plus élevés, ainsi que le savaient les anciens poètes védiques qui parlaient de la vie spirituelle comme d’une ascension constante :
Ô TOI AUX CENT POUVOIRS, LES PRÊTRES DU MOT
T’ESCALADENT, COMME UNE ÉCHELLE. TANDIS QU’ON MONTE DE CIME EN CIME, APPARAÎT TOUT CE QUI RESTE À FAIRE.
Au fond, nous avons passé tous ces siècles à préparer la Base. Une base de sécurité et de bien-être par notre science, une base de charité par nos religions et nos morales, une base de beauté et d’harmonie par nos arts,une base mentale de scrupuleuse exactitude – mais c’est une base pour autre chose.
Absorbés dans notre effort pour bien faire, nous ne voyons qu’un angle du grand Œuvre – un angle d’immortalité terrestre comme les rishis, un angle de Permanence éternelle comme le Bouddha, un angle de charité, un angle de bien-être, toutes sortes d’angles, mais nous n’allons pas toujours jouer aux cubes comme les enfants! rien de tout cela n’est une fin, c’est une condition négative du jeu; rien n’est commencé encore! qu’est-ce qui est commencé?… peut-être attend-on seulement que nous prenions conscience du jeu pour qu’il commence.
Nous avons épuisé toutes sortes d’aventures depuis Jules Verne et elles se sont lentement fermées devant nous; quelle guerre, quelle révolution vaut encore qu’on s’y saigne? nos Everest sont déflorés et les hautes mers bien gardées – tout est prévu, réglé, même la stratosphère.
Peut-être pour nous conduire vers la seule ouverture en ce monde qui nous suffoque de plus en plus? Nous nous sommes cru myopes, une petite taupe sur cet astre, et nous avons rectifié le grand Œil du dedans, et nos ailes à courir les mondes, par un acier qui nous écrase et nous écrase.
Peut-être pour nous forcer à croire en nous-mêmes autant qu’en nos machines et que nous pouvons mieux qu’elles. “ils tournent et tournent en rond, meurtris et trébuchants, comme des aveugles conduits par un aveugle”, disait déjà l’Upanishad.
Le temps n’est-il pas venu de jeter un coup d’œil par-dessus nos constructions, et de commencer le jeu? au lieu de remuer des pelles, des pioches, des évangiles et des neutrons, défricher la conscience et jeter cette graine-là sur l’aire du temps, et que la vie commence.
Ô race née de la terre, que le Destin emporte et que la
Force contraint
Ô petits aventuriers dans un monde infini
Prisonniers d’une humanité de nains
Tournerez-vous sans fin dans la ronde du mental
Autour d’un petit moi et de médiocres riens?
Vous n’étiez point nés pour une petitesse irrévocable
Ni bâtis pour de vains recommencements…
Des pouvoirs tout-puissants sont enfermés dans les cellules
de la Nature
Une destinée plus grande vous attend…
La vie que vous menez cache la lumière que vous êtes!
Et si l’on jette un coup d’œil par-dessus le mur, tout est là, déjà, attendant seulement que nous le voulions :
Je les ai vus passer le crépuscule d’un âge
Les enfants aux yeux de soleil d’une aube merveilleuse…
Puissants briseurs des barrières du monde…
Architectes de l’immortalité…
Corps resplendissants de la lumière de l’esprit
Porteurs du mot magique, du feu mystique
Porteurs de la coupe dionysiaque de la joie…
L’âge de fer est fini
Les conditions de l’âge de Vérité peuvent sembler sévères – cette descente périlleuse dans l’Inconscient, la bataille contre l’Ombre, la Mort qui menace; mais n’avons-nous pas risqué nos vies à des entreprises plus futiles?
La grandeur de l’homme n’est pas dans ce qu’il est, mais dans ce qu’il rend possible, dit Sri Aurobindo.
Il faut que la Victoire soit remportée une fois, dans un corps.
Quand un seul homme aura remporté cette Victoire-là, ce sera une victoire pour tous les hommes et dans tous les mondes.
Car cette petite terre, en apparence si insignifiante, est le terrain symbolique d’une bataille qui se joue à travers toutes les hiérarchies cosmiques, de même que l’être humain conscient est le terrain symbolique d’une bataille qui se dispute dans tous les hommes – si nous vainquons ici, nous vainquons partout; c’est nous qui délivrons les morts, c’est nous qui délivrons la vie.
Nous sommes chacun, par notre prise de conscience, les bâtisseurs du ciel et les rédempteurs de la terre. C’est pourquoi cette vie sur la terre assume une importance exceptionnelle parmi tous nos autres modes de vie, pour cela aussi que les gardiens du Mensonge s’obstinent à nous prêcher l’au-delà : Il faut se dépêcher de faire son travail ici, dit la Mère, car c’est ici qu’on peut le faire vraiment.
N’espérez rien de la mort, la vie est votre salut.
C’est en elle qu’il faut se transformer; c’est sur terre qu’on progresse, c’est sur terre qu’on réalise. C’est dans le corps qu’on remporte la Victoire. Alors la loi de l’évolution ne sera plus celle des contraires qui nous talonnent pour nous arracher à notre enfance humaine, mais une loi de lumière et de progrès sans fin – une évolution nouvelle dans la joie de la Vérité.
SRI AUROBINDO ou l’aventure de la conscience Satprem p. 373-377
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