mardi 9 juin 2015

La symbolique des maladies

Notre corps exprime ses déséquilibres de façon symbolique

Entretien avec le docteur Olivier Soulier


On commence à le savoir : nos maux sont des mots et la maladie ramasse ce que nous du mal-à-dire. Mais encore ? La santé dépend de tant de facteurs ! Comment s’y retrouver dans l’imbroglio psychosomatique ? Le Dr Olivier Soulier suit une piste intéressante…
JPEG - 9 koOlivier Soulier
Le docteur Oliver Soulier fait partie de cette avant-garde médicale qui cherche à réunifier les différentes branches d’un corpus théorique et pratique, aujourd’hui complètement éclaté. Dans son cabinet et dans les séminaires, de plus en plus réputés, qu’il anime tout au long de l’année, sa spécialité est la lecture symbolique du corps, des goûts et des maladies. Il est fascinant de constater que la façon dont les maladies nous touchent répond à une logique où le propre et le figuré se rejoignent - une « atmosphère étouffante », pour prendre un exemple simple, atteignant les mêmes organes que l’étouffement soit entendu chimiquement ou psychologiquement. L’origine de cette intelligence symbolique du corps est à chercher dans la manière dont nos organes se sont construits, à partir de trois tissus, lorsque nous étions embryon. Cette lecture de notre biologie profonde et de ses déséquilibres est d’une richesse impressionnante ; comme si notre corps détenait en fait toute l’information nécessaire à notre guérison et que celle-ci se révélait à nous en fonction de notre aptitude plus ou moins grande à l’entendre.
Nouvelles Clés : Comment votre pratique médicale vous a-t-elle mené vers la symbolique du corps et le « langage » des maladies ?
Olivier Soulier : Nos sociétés cultivent, pour la plupart, une conception matérielle et cartésienne du corps. Elle n’est pas fausse : notre corps possède un niveau mécanique de fonctionnement, avec ses organes, ses articulations, sa pompe, etc, et notre médecine a acquis ses lettres de noblesse dans ce domaine, en développant notamment des outils techniques aux performance admirables. Mais le corps et ses maladies ne fonctionnent pas seulement à ce niveau. L’importance du facteur psychologique, par exemple, est aujourd’hui bien documentée. Parler d’un lien entre la maladie et un vécu psychologique, ou une difficulté dans la vie, est à peu près admis par notre médecine. Mais l’abord de l’homme dans sa globalité est une idée connue… qui doit sans cesse être redécouverte ! Et de leur côté, les approches psychologiques sont trop souvent séparées des nécessités techniques et physiologiques. C’est dans la réunification de tous les niveaux de l’être que nous prendrons la dimension spirituelle dont le XXI° siècle a besoin. Médecin homéopathe, acupuncteur - désireux, donc, de pratiquer une médecine plus complète -, je fais partie de ceux qui veulent aller plus loin : n’importe quel problème existentiel ne donne pas n’importe quelle maladie. Il faut tenter d’approcher au plus près le lien difficulté-maladie, rechercher une compréhension point par point. La médecine chinoise l’avait bien vu, proposant une grille de lecture précise, mettant en liaison : le cœur et l’amour, le foie et la colère, le rein et la peur, etc… Notre corps est comme un livre dont les phrases, tout en restant toujours les mêmes, changeraient, non pas de sens, mais de profondeur de signification dès que nous sommes capables de les accueillir.
N.C. : Notre corps nous parle de façon symbolique ?
O.S. : La vie nous parle de nombreuses manières par des symptômes, par des symboles. Avec une merveilleuse subtilité, dès le départ, elle nous fait repasser par tous les stades de l’évolution des espèces pendant notre gestation. De l’œuf fécondé jusqu’au nouveau-né, nous revisitons en quelque sorte toute la création. Bien sûr, nos chromosomes, déjà humains donc différents, nous poussent à aller plus loin, mais on voit bien que nous sommes issus d’un tronc commun, partageant 26 % de nos chromosomes avec les simples filaires (parasites longs) et 90 % avec le rat. La vie est un tronc commun, avec les espèces qui s’en écartent au fur et à mesure, l’humain étant la voie qui va le plus loin pour tenter d’accomplir le plus complètement possible son patrimoine génétique. Annick de Souzenelle, qui m’a beaucoup inspiré, a une phrase magnifique à ce sujet : elle dit que l’ADN, c’est Adonaï (“le Seigneur” en hébreu), qui vient s’incarner pour tenter de se réaliser. 
C’est une vision mystique qui correspond bien, symboliquement, à une réalité : l’humain est celui qui prend son barda - son patrimoine génétique - et qui vient sur Terre pour le travailler et le réaliser, avec son humanité. Et il se retrouve en quelque sorte “sous une tunique de peau”, c’est-à-dire caché à lui-même, ne voyant pas ce qu’il est. Le romancier Bernard Werber le dit très bien, avec sa saga sur les anges, cette fois de façon imagée et non plus mystique. 
Nous sommes cachés à nous-mêmes et ne voyons habituellement que l’apparence, le conscient ordinaire, l’organique et le psychologique. La lecture symbolique permet, elle, d’aller plus loin.
N.C. : Admettons que mon corps ait une dimension symbolique et que les maladies soient un langage. À quoi ça m’avance-t-il, quand je suis malade, de connaître le symbole représenté par cette maladie ou cet organe affecté ?
O.S. : Bonne question. Tout dépend d’abord de votre état organique, qu’il faut toujours considérer en premier. Plus largement, vous posez le problème de la connaissance : elle n’est efficace que si elle est à la mesure de votre capacité à la recevoir. Mais elle est aussi le propre de la vie humaine, comme le montre le fameux Arbre dans la Bible. Vivre, c’est entrer dans la connaissance. Celle des fondamentaux de l’évolution, dont je parlais, puis toute celle qu’apportent l’expérience de la vie, les rencontres, les situations. Et c’est justement l’intérêt des symboles, car ils parlent à tous les niveaux de culture ou de conscience. Lorsqu’un médecin se penche sur le symbolisme du corps humain, il réalise très vite qu’il est en train de s’ouvrir à une autre dimension de l’aide thérapeutique. Avec un double risque, cependant : trop générale, cette connaissance n’est pas efficace ; trop précise, elle est enfermante, limitante et donc, un jour ou l’autre, fausse. Il faut l’utiliser comme un canevas, comme une grille de lecture. Je qualifierais celle-ci par la notion de mouvement : je pense que chaque organe a une fonction et un mouvement.
N.C. : Prenons un exemple concret, supposons que je souffre du foie.
O.S. : Les problèmes de foie sont très souvent liés à la famille, mais il faut une lecture symbolique un peu plus approfondie pour comprendre pourquoi. Le foie est un organe extrêmement important, plus encore que le rein, il intervient dans pratiquement tous les métabolismes. Il constitue notre usine énergétique, nous permet de gérer notre vie matérielle et quotidienne. Il représente donc notre “économie”, ce qui implique forcément la famille, mais aussi la maison, l’argent, la nourriture, la façon dont nous survivons pratiquement. Voilà le cadre général. Pour illustrer comment ce cadre fonctionne pour chacun, j’emploie souvent cette image : les maladies, c’est « paroles et musique ». La musique est la même pour tous - par exemple, le foie est l’organe de notre économie - mais les paroles diffèrent pour chacun, selon son histoire et son bagage génétique.
L’économie elle-même peut souffrir de mille maux différents : problèmes d’approvisionnement, mauvaise gestion, direction déficiente, distribution anarchique… Et puis la famille ne signifie pas la même chose si vous avez 2 ans ou 40 ! Quand on aborde le symbolisme sous cet angle, on permet de faire apparaître à la conscience, au niveau où elle peut le recevoir, les systèmes de croyances et les différents types de difficultés rencontrées. Car au fond, comment le vécu s’inscrit-il symboliquement dans le corps ? L’être humain est dans une double dimension. À la naissance, quelque chose nous dit que l’enfant « sait », de façon innée, ce qu’est l’amour. Par ailleurs, son corps lui offre toutes les fonctions fondamentales pour assurer sa vie. Entre ces deux pôles - sa connaissance de l’amour et sa survie animale -, il va créer des ponts.
N.C. : C’est-à-dire ?
O.S. : L’enfant va interpréter ce qu’il rencontre en fonction à la fois de cette connaissance humaine innée de l’amour, et de sa capacité physique, encore faible. Et en interprétant, il va progressivement “inscrire” son apprentissage dans son corps. Et toute la question de cet apprentissage sera de savoir ce qui est juste, au sens de réel et au sens d’efficace. Avoir peur de sortir dans la rue à un an, c’est juste. À 20 ans, c’est un problème !
N.C. : Concrètement, ça veut dire quoi : “il inscrit son apprentissage dans son corps" ?
O.S. : La découverte fine des mécanismes physiologiques de l’« inscription » sera certainement l’un des grands chantiers scientifiques du XXI° siècle. Une chose est sûre : nous utilisons systématiquement notre corps pour nous aider, quand nous n’arrivons pas à vivre un événement. Or, les organes qui nous servent ainsi d’assistance semblent spontanément choisis pour des raisons symboliques : l’estomac sera touché pour ce qui tout ce qui concerne le verbe “digérer” (ne pas digérer une situation aussi bien qu’une substance), le sein pour tout problème correspondant au verbe “nourrir” (au propre comme au figuré), etc. Tout se passe comme si les événements inaccomplis restaient mémorisés dans notre corps, inscrits dans des organes précis. Exemple simple : si vous marchez habituellement sur un sol agressif, de la corne se formera sous vos pieds, pour vous protéger ; mais vous pouvez aussi voir apparaître cette corne sans cause matérielle, juste parce que vous vous sentez agressé dans la vie dès que vous voulez avancer, évoluer ; et cette fausse protection vous fera mal quand vous marcherez avec des chaussures ! Il s’agit donc de trouver quelles fausses protections nous rendent malades. Une forme de conscience organique nous propose ainsi un jeu de piste vers nous-même. Nos secrets sont cachés dans notre corps. Ce qui rejoindrait le sens des fameuses « tuniques de peau » dont parle Annick de Souzenelle…
Ce processus était déjà connu par les fondateurs de l’homéopathie, il y a deux cents ans, et même par les acupuncteurs d’il y a trois mille ans. Henri Laborit a brillamment éclairé ces aspects psycho-neurologiques, montrant comment, face à un obstacle, un individu explore soit la lutte, soit la fuite, soit l’invention d’une solution imaginaire… qui pourra s’inscrire dans son corps. Le Pr Antonio Damasio, qui enseigne la neurologie à l’université de l’Iowa, a montré dans ses ouvrages (L’erreur de Descartes, Le sentiment de soi, Spinoza avait raison…) le lien entre pensées, émotions et réactions organiques. Mais nous n’en sommes qu’au début. Les prouesses du Pet-Scann nous permettent désormais d’explorer nos circuits de pensée et ce champ s’étend tous les jours. Ainsi, on pensait que, symboliquement, l’herpès pouvait apparaître dans des situations où l’on vit mal le risque de séparation inhérent à toute relation. Eh bien, on vient de découvrir qu’un virus de la famille de l’herpès secrétait une substance agissant dans le cerveau en diminuant la sensation de souffrance morale. De même, on proposait symboliquement que la sécrétion d’insuline avait un rapport avec les problèmes touchant la paternité et la masculinité : on vient de découvrir que le gène de l’insuline intervenait aussi dans la différentiation sexuelle masculine, en coopération avec le chromosome Y.
N.C. : Finalement, ne rejoignez-vous pas ceux qui parlent de l’humain comme d’un fantastique bio-ordinateur ?
O.S. : Ce terme témoigne encore d’une vision trop mécaniste et réductionniste. L’être humain a plusieurs niveaux de compréhension et de fonctionnement. D’un côté, il s’appuie sur sa physiologie, qui assure son fonctionnement quotidien. C’est une part animale, relativement déterminée, qu’on peut en effet qualifier de bio-ordinateur. Mais une autre part de l’homme dépasse totalement ce niveau. Elle relève de la conscience. C’est elle qui, depuis la nuit des temps, a inspiré les mythes, l’art, le sentiment religieux… Or, il semble que ce niveau, la conscience, soit le véritable chef d’orchestre de notre fonctionnement. Entre le bio-ordinateur et la conscience se trouve une part « non écrite », où l’être humain pose ses choix de vie, sa liberté d’être qui lui est si spécifique. Ce sont les trois niveaux de la vie en nous : l’animal (bio-ordinateur prédéterminé), l’ange (conscience) et entre les deux, jetant des passerelles (sublimes et parfois désespérées), l’humain (page blanche sans déterminisme). L’un des grands bouleversements que les recherches d’avant-garde de ces dernières décennies nous ont apportés est la découverte d’une correspondance fine entre l’inscription symbolique de nos problèmes dans nos organes et la façon dont ces organes ce sont formés lorsque nous étions embryon. On retrouve en effet en embryologie les trois niveaux que je viens d’évoquer : l’animal, l’humain et l’ange !
N.C. : Il y a donc des universaux, mais savoir ce qu’une maladie exprime réellement est avant tout un travail de prise de conscience individuelle ?
O.S. : Oui. D’autant plus que la question n’est pas seulement de savoir quel problème vient signaler la maladie, quelle incohérence entre les différents niveaux de l’être elle dénonce. Il s’agit aussi de trouver le mouvement, en moi-même, qui est en difficulté : qu’est-ce qu’il faut travailler, faire évoluer, changer - ou ne pas changer ? Beaucoup d’écrits, ces derniers temps, ont abordé le sens des maladies, mais ils nous limitent souvent à une vision animale « biologique » qui nous ramène au niveau physiologique de la survie. La question centrale - et spécifique à notre époque, me semble-t-il - est selon moi, plutôt celle-ci : qui parle quand je suis malade ? Et quand nous guérissons, qui guérit ? Est-ce notre part animale qui cherche à survivre ? Ou notre histoire personnelle et notre héritage transgénérationnel ? Ou encore notre être essentiel, qui tient à s’exprimer au travers de tout cela et vient nous proposer une initiation ?
Je pense que nous sommes malades de ne pas être ce que nous sommes vraiment, de ne pas nous accomplir totalement. Le corps le supporte pendant un temps, puis il envoie des messages d’alarme. C’est ainsi qu’il faut comprendre la phrase deJung : "Vous ne guérirez pas de vos maladies, ce sont vos maladies qui vous guériront.” Tout se passe comme si à un endroit de nous se trouvait la conscience de ce que nous pouvons être, et quand nous nous en éloignons trop, cette conscience nous parle et nous fait tomber malade. J’appelle cela “le saint homme qui marche dans le symptôme" : quel accomplissement notre être profond vise-t-il ?
N.C. : Ce serait cela, le propre de l’humanité : chaque personne serait un psychosoma cherchant à écrire une histoire singulière sur une page blanche ?
O.S. : L’animal n’a rien, ou très peu, à écrire : il ne change pas dans le cadre d’une génération. Les pattes du kangourou ont mis des millions d’années à rétrécir. Il est lion ou souris, ni méchant ni gentil, il est comme ça, c’est tout. Vous connaissez l’histoire de l’homme qui se retrouve sur le point de se faire dévorer par un ours, et qui prie le Seigneur d’accorder des sentiments chrétiens à son agresseur ? Il voit alors l’ours faire le signe de croix et remercier Dieu… de lui avoir procuré un bon repas ! Un ours reste un ours et c’est normal. Ni bien, ni mal. L’être humain, lui, est libre, il peut remettre en question la justesse de ses actes, la pertinence de ses croyances. Je crois donc en l’idée (sartrienne ou chrétienne !) de la page blanche, qu’il faut cependant nuancer. L’être humain a une part libre, qu’il lui appartient d’écrire et qui lui permet d’avancer à l’intérieur de sa génération. Cette part est communément appelée la liberté humaine ou libre arbitre. Cependant, dès la naissance, elle est partiellement envahie par les règles écrites par l’histoire et par les générations précédentes. L’homme a la mission personnelle de se réapproprier ces pages pour les changer ou les rechoisir et augmenter ainsi l’espace libre.
N.C. : Et au niveau collectif ? Les épidémies aussi seraient des « messages » ?
O.S. : Pour aborder le problème des épidémies, il faut parler des microbes, ces co-facteurs fondamentaux de la vie. Le microbe est à la fois ce qui va nous aider, nous confronter, nous tester, travailler pour nous. Prenons le staphylocoque, par exemple. Il est le gardien de la porte, défendant et testant notre intégrité en permanence. Nous en avons plusieurs centaines de millions sur la peau, blancs ou dorés, qui interviennent dès que celle-ci est agressée par une coupure, une écharde, etc., provoquant une réaction, avec arrivée massive de globules blancs, création de pus, d’un abcès, jusqu’à élimination du corps étranger. Qui se montre particulièrement sensible aux staphylocoques ? Les malades opérés, les enfants en réanimation néonatale, les adolescents en évolution sur leur image corporelle (l’acné, c’est du staphylo). De façon générale, le staphylocoque signale donc des problèmes d’intégrité. On comprend que symboliquement, il soit lié au père protecteur ou à la mère nourricière. Et c’est un autre microbe, le streptocoque, qui est lié au père initiateur ou à la mère initiatrice. Car un enfant n’a pas seulement besoin d’être protégé, il lui faut aussi un parent initiateur, pour rencontrer la difficulté, la surmonter au prix d’une épreuve, et apprendre à se déployer - "strepto”, en grec, signifie “plié”. Les rhumatismes articulaires aigus, certaines maladies cardio-vasculaires et rénales, sont des maladies à streptocoques. Elles touchent l’axe fondamental rein-cœur des acupuncteurs : identité (rein) + amour (cœur), souvent en difficulté, surtout si l’on n’a pas pu déployer certaines parties de soi au travers d’expériences et avec l’aide d’une fonction d’initiation.
L’épidémie joue le même rôle de confrontateur que le microbe, mais à l’échelle de l’humanité, qu’elle vient confronter à un problème précis. La grippe, par exemple, vient régulièrement questionner chacun dans sa gestion des problèmes trangénérationnels. La peste noire, à la fin du Moyen-Âge, vient poser la question de l’amour et de l’indifférence, au moment où on entre dans l’individuation des êtres humains, sortant du groupe-masse où la vie n’a pas de valeur. C’est la question du rat - la partie de nous-mêmes qui ne vit que pour soi : comment gérer une société d’individus ne vivant que pour eux-mêmes, si ce n’est par l’amour ? Camus décrit bien, au début de son livre La Peste, un monde de chacun vers soi. La tuberculose, massive au XIX° siècle, pose la question du changement de mode de vie : comment survivre dans des conditions nouvelles ? Ce problème se pose encore aujourd’hui, notamment aux émigrants.
N.C. : Vous pensez donc que ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, les épidémies s’attaquent au système immunitaire, au moment où l’individualisme est au programme ?
O.S. : L’immunité, scientifiquement, c’est la définition même de l’identité : elle définit le soi et le non-soi. Les maladies auto-immunes traduisent comme une guerre civile intérieure entre les parties de moi. L’organisme s’est bâti de telle manière qu’une partie ne reconnaît pas l’autre et l’attaque. Or, on se constitue par le contact avec l’autre, qui est souvent microbien. L’immunité est un soi qui se construit dans la réalité de la confrontation à la vie. L’évitement systématique des infections les plus bénignes, que l’on appelle aujourd’hui « l’hypothèse hygiéniste », risque de ne pas permettre à l’organisme de se trouver en situation de confrontation. Le soi immunitaire n’y retrouve plus ses petits. Si je reprends votre question, l’individualisme serait un soi isolé, sans confrontation et courant le risque de ne pas avoir de sens.
N.C. : Mais donner autant de sens aux maladies, n’est-ce pas très culpabilisant ?
O.S. : Quand on s’engage dans cette réflexion, on rencontre forcément le problème de la culpabilité et de la responsabilité. Parce qu’il n’a pas toute l’information, le malade tend à déléguer les responsabilités à ceux qui savent, le personnel médical, le médecin. La tentation est grande de se dire qu’il n’y a rien à comprendre. Certaines personnes souhaitent ne pas aborder d’autres sens de la maladie, et la médecine répond parfaitement bien à leur demande dans sa prise en charge. Pour d’autres personnes, c’est psychologiquement et ontologiquement insatisfaisant. De plus, la véritable prévention, celle qui permettra un jour d’enrayer la progression des coûts médicaux, relèvera probablement d’une attention et d’un soin à soi-même, et à sa lignée. Ce n’est pas une idée nouvelle, mais une idée à redécouvrir. Les Chinois en ont parlé il y a trois mille ans :« Attendre d’être malade pour se soigner, c’est attendre d’avoir soif pour creuser un puits. » On retrouve le problème de la connaissance dont nous avons parlé : si je peux l’entendre, elle me responsabilise, me donne une autre possibilité. Chacun doit pouvoir aller chercher le sens au fur et à mesure de son besoin, et de sa capacité à entendre pour ne pas être écrasé par la culpabilité - la médecine assurant, elle, le maximum de moyens techniques pour chacun et quoi qu’il en soit.
N.C. : Comment franchir le pas entre prendre conscience de quelque chose et vraiment l’intégrer, de manière opérationnelle ?
O.S. : Notre conscience est multiple, notamment dans notre cerveau, où coexistent : l’instinctif reptilien, le dominant/dominé paléolimbique, l’émotionnel néolimbique, qui agit de concert avec la part « officiellement consciente », le cortex. Au grand dam des cartésiens, tous ces niveaux, nos instincts, nos sensations, nos émotions, notre conscience réfléchie sont en interaction permanente (L’erreur de Descartes, Pr. Antonio Damasio, éd. Odile Jacob, 1995.). Il faut ici dépasser la classique séparation entre cerveau droit et gauche, intuition et raison. La vraie clef semble plutôt dans la partie antérieure des deux hémisphères : le préfrontal, où s’élaborent les processus les plus complexes. C’est le siège de cette partie de nous qui sait avant que nous sachions, cette petite voix intuitive qui nous dit quand nous sommes sur la voie juste, qui nous fait faire des découvertes… et qui s’agite quand nous sommes angoissés, nous envoyant le signal que nous sommes en train de nous tromper, de nous mentir, de nous fourvoyer. Mieux vaudrait alors l’écouter, plutôt que de la faire taire avec des tranquillisants, qui agissent à ce niveau en déconnectant le cerveau préfrontal. Mieux vaudrait développer celui-ci - car il existe des méthodes pour cela - plutôt que de saboter cette tête chercheuse par des injonctions comme « surtout ne fais pas plusieurs choses à la fois », « ne change pas tout le temps de sujet », etc. L’humour, le jeu, la création spontanée nourrissent la conscience du préfrontal. Se laisser guider par ce qui arrive, écouter son intuition, découvrir des liens surprenants, voilà des démarches tout aussi créatrices et génératrice de solutions et de conscience. Car si l’ange habite en nous quelque part, c’est dans le préfrontal !
Propos recueillis par Sylvain Michelet

Contact :

Sens et Symboles : 1, chemin des trois Tilleuls, 59118 Wambrechies, Tél/Fax 03 20 40 72 46 - site web : www.lessymboles.com
Cet entretien a été diffusé la première fois dans le magazine Nouvelles Clés n° 49, en mars 2006.

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